Dernier jour 10h55

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Press Trust of India, Bangalore, aujourd'hui, 10h55. Jurassik Parc, c'était vrai ! Le laboratoire de biologie moléculaire Deepak Patil vient d'annoncer la réussite du premier clonage d'un dinosaure bipède carnivore de grande taille. Il s'agirait d'un hybride complexe dont le procédé de fabrication est bien entendu secret. On sait cependant que la base génique a été reconstituée par simulation en ciblant un Ceratosaurus Theropoda Abelisauridae, un dinosaure du Crétacé ! La femelle, qui est encore en suspension dans sa cuve de clonage, sera éveillée demain. On attend les images de son premier repas — du poulet cru — avec impatience ! Devenue adulte, elle devrait mesurer pas loin de six mètres... Souhaitons que la clôture soit solide !

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Ada avait garé la voiture dans une rue calme. Depuis quelques minutes, elle restait là. Elle hésitait à passer cet appel à Michael. Elle en avait une boule dans la gorge, un sifflement dans les oreilles. Michael avait risqué sa vie pour échapper à la police. Si jamais elle commettait une erreur, elle allait en quelques fractions de secondes permettre aux policiers de lui tomber dessus. Elle avait une conscience particulièrement aiguë des moyens considérables qui étaient déployés par les forces de l'ordre pour déjouer les ruses du type de celles que Michael venait d'utiliser pour reprendre contact avec elle. Plus elle y réfléchissait, plus la conjonction de la présence de son téléphone personnel et de la voiture de Morgan semblait constituer un risque corrélatif majeur. Alors, elle retira la batterie de son téléphone et elle redémarra pour chercher un endroit tranquille. Après quelques minutes, elle choisit un petit restaurant. Elle gara la voiture aussi loin que possible du bâtiment avant de courir à l'intérieur. Elle s'acheta un café et attendit en se rongeant les ongles, se souvenant que les corrélations recherchées par les IA de la police étaient également temporelles. À bout de patience, elle sortit enfin de son sac le téléphone qu'elle avait acheté au dénommé Vince. Elle compta les sonneries en tremblant. À la dixième, alors qu'elle commençait à se mordre les lèvres jusqu'au sang, l'appel fut accepté à l'autre bout, sans vidéo.

— Allo, fit une voix qui sonnait très différemment de celle de Michael.

— C'est moi, répondit-elle en se demandant soudain à qui elle parlait. Si Michael avait été pris, comment pouvait-elle le savoir ?

— Surtout, dit précipitamment l'autre, ne dis rien. Sa voix était décidément très différente de celle de Michael.

— Je sais.

— Tu as la GPRTC ?

— Oui.

— Je savais que je pouvais compter sur toi. Je t'adore, ajouta-t-il. Et il était très troublant de ne pas pouvoir reconnaître sa voix.

— Je t'aime aussi.

— Mais... Il faut être réalistes... Je...Je voulais te dire... Je voudrais te désigner un endroit pour déposer le matos, et...

— On avait dit qu'on resterait ensemble.

— Oui, on l'avait dit... Mais... La situation n'offre pas vraiment... Enfin, je veux dire... J'avais pensé que si un jour on devait partir tous les deux, l'horizon serait moins noir.

— Je sais.

— Ce que tu as déjà fait, c'est beaucoup. Beaucoup trop. Il y a objectivement très peu de chance que je m'en sorte honorablement, et je ne veux pas te mêler à ça.

— Je sais ce qui te fait croire cela, et je le croyais aussi. Mais c'est sans compter sur un élément nouveau.

— Un élément nouveau ? J'ai du mal à y croire.

— J'ai un peu de mal à y croire moi aussi, mais j'y crois.

Il rit faiblement.

— C'est un test ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— C'est un test, affirma-t-il. Est-ce que je suis capable de te faire assez confiance pour croire en quelque chose à quoi tu crois.

— Admettons, c'est un test.

— C'est chiant, de ne pas pouvoir... dire les choses.

— Oui, mais d'un autre côté, il est aussi surprenant de se rendre compte à quel point, en ne pouvant rien dire d'essentiel, on peut se dire ce qui est important.

— C'est vrai.

— Alors ? demanda Ada.

— À ton avis ?

— Je ne sais pas, je ne vais pas décider pour toi.

— Si, tu vas décider pour moi, même si cela te fait peur.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Tu y crois à ton élément nouveau ?

— Oui, j'y crois. Je veux y croire, fit posément Ada, j'ai confiance.

— Alors, j'y crois moi aussi. Tu sais pourquoi ?

— Non, pourquoi ?

— Tu viens de me faire réaliser que je n'ai pas vraiment envie de m'en sortir, si c'est pour m'en sortir tout seul.

— Ah ?

Ada avait détourné la tête pour regarder dehors. Elle sourit. Un vieil homme qui passait dans un ciré orange vif captura la vision du joli visage de cette fille aux cheveux bleus électriques, illuminé par une joie très intense, un bref éclair de liesse sincère, avant qu'il redevienne sombre et sage, serein dans l'inquiétude. Elle dit avec tendresse dans le téléphone :

« Figure-toi que c'est pareil pour moi : je préfère doubler la mise avec toi plutôt que te regarder perdre.

— Woa !

— Où es-tu ?